« Les Poèmes de Sabine Sicaud, précédés d'un avant-propos
de François Millepierres. Paris, Stock, 1958. »
Rubrique Comptes Rendus, par Francis B. Conem
In Revue des Sciences Humaines
N° 93-96 (1959 ; p. 226-228)
Sans pour cela faire grand tapage — et pourtant la chose lui eût été aisée — M. François Millepierres, depuis quelques années déjà, s'efforce de défendre et de préserver de l'oubli l'oeuvre de Sabine Sicaud, morte dans sa seizième année le 12 juillet 1928. Prenant pour prétexte le 30e anniversaire de la mort de l'enfant-poète, il nous a présenté l'an dernier, en un recueil fort agréable, les Poèmes de Sabine Sicaud. Cette publication, écrit M. Millepierres dans son avant-propos, s'imposait pour donner satisfaction au public, pour apporter à Sabine une première consécration de la postérité.
Ce n'est pas ici que j'avais tout d'abord l'intention de présenter ce recueil et peut-être est-ce quelque peu brusquer les choses ? Toutefois, le silence fait jusqu'à ce jour dans nos journaux littéraires, l'un excepté, me fait revenir sur cette première non-décision. Sauf erreur, ces journaux n'ont pas même annoncé la publication de ces poèmes. Il est piquant de constater à ce propos que Le Figaro littéraire n'a soufflé mot alors qu'en son n° du 12-11-58 Le Figaro a inséré un article de M. Claude Mauriac : « Les bouleversants poèmes de Sabine Sicaud ». À la lecture de cet article, il appert que M. Cl. Mauriac ne connaissait point ces poèmes et, à propos de Poèmes d'enfant, il est amusant de trouver sous sa plume une phrase aussi gentiment dubitative que celle-ci : « Il paraît que cette publication fit quelque bruit à l'époque ».
De fait, si le public réclamait cette édition récente — ce dont semble douter aussi bien Claude Mauriac pour qui elle est une révélation parce qu'il ne connaissait pas Sabine, que René Lacôte pour qui elle est une agréable surprise parce, précisément, lui la connaissait de longue date — les critiques se seraient peu souciés de ne la voir point paraître. Les réclamait-on, ces poèmes, demande Cl. Mauriac. Qui les réclamait, surenchérit R. Lacôte, qui répond aussitôt : « Assurément pas les gens du dernier bateau ». Aux yeux de M. René Lacôte, sans doute M. Raymond Yxemerry 1 et moi-même appartenons à cet ultime bateau et nous sommes pourtant de ceux qui espéraient ce que François Millepierres nomme une première consécration. Parmi les voix qui se joignaient aux nôtres, il y a celles de Rose Celli (« Sabine Sicaud », Cahiers du Sud, juillet 1939) et de France Lambert (« Sabine Sicaud : l'enfant-poète », Points et contrepoints, mars 1955). Cette publication ne doit pas être pour déplaire à MM. Louis Vaunois et Jacques Bour, ni à Marcel Béalu qui, en leurs anthologies, accordèrent une place à Sabine Sicaud (respectivement dans Les Poètes de la vie et Anthologie de la Poésie féminine française. Rosemonde Gérard avait également donné place à Sabine en ses Muses françaises).
Si la critique ne réclamait pas cette édition sur l'air des lampions, du moins l'accueillit-elle fort bien... lorsqu'elle consentit à l'accueillir ! Claude Mauriac écrit qu'il faut lire ces Poèmes, pleurer et se taire. Alain Bosquet dans Combat (6-11-58) [ « De souffrance et d'amour (extrait) » ] lui consacre de chaleureuses lignes, quoique assez brèves (il est vrai que ce même journal devait insérer le jeudi suivant un texte de M. Millepierres sur « le destin de Sabine ») ; il transcrit des vers qui, effectivement, sont parmi les plus beaux du recueil et son choix s'accordant parfaitement au nôtre, je cite ceux-là mêmes qu'il a copiés :
de François Millepierres. Paris, Stock, 1958. »
Rubrique Comptes Rendus, par Francis B. Conem
In Revue des Sciences Humaines
N° 93-96 (1959 ; p. 226-228)
Sans pour cela faire grand tapage — et pourtant la chose lui eût été aisée — M. François Millepierres, depuis quelques années déjà, s'efforce de défendre et de préserver de l'oubli l'oeuvre de Sabine Sicaud, morte dans sa seizième année le 12 juillet 1928. Prenant pour prétexte le 30e anniversaire de la mort de l'enfant-poète, il nous a présenté l'an dernier, en un recueil fort agréable, les Poèmes de Sabine Sicaud. Cette publication, écrit M. Millepierres dans son avant-propos, s'imposait pour donner satisfaction au public, pour apporter à Sabine une première consécration de la postérité.
Ce n'est pas ici que j'avais tout d'abord l'intention de présenter ce recueil et peut-être est-ce quelque peu brusquer les choses ? Toutefois, le silence fait jusqu'à ce jour dans nos journaux littéraires, l'un excepté, me fait revenir sur cette première non-décision. Sauf erreur, ces journaux n'ont pas même annoncé la publication de ces poèmes. Il est piquant de constater à ce propos que Le Figaro littéraire n'a soufflé mot alors qu'en son n° du 12-11-58 Le Figaro a inséré un article de M. Claude Mauriac : « Les bouleversants poèmes de Sabine Sicaud ». À la lecture de cet article, il appert que M. Cl. Mauriac ne connaissait point ces poèmes et, à propos de Poèmes d'enfant, il est amusant de trouver sous sa plume une phrase aussi gentiment dubitative que celle-ci : « Il paraît que cette publication fit quelque bruit à l'époque ».
De fait, si le public réclamait cette édition récente — ce dont semble douter aussi bien Claude Mauriac pour qui elle est une révélation parce qu'il ne connaissait pas Sabine, que René Lacôte pour qui elle est une agréable surprise parce, précisément, lui la connaissait de longue date — les critiques se seraient peu souciés de ne la voir point paraître. Les réclamait-on, ces poèmes, demande Cl. Mauriac. Qui les réclamait, surenchérit R. Lacôte, qui répond aussitôt : « Assurément pas les gens du dernier bateau ». Aux yeux de M. René Lacôte, sans doute M. Raymond Yxemerry 1 et moi-même appartenons à cet ultime bateau et nous sommes pourtant de ceux qui espéraient ce que François Millepierres nomme une première consécration. Parmi les voix qui se joignaient aux nôtres, il y a celles de Rose Celli (« Sabine Sicaud », Cahiers du Sud, juillet 1939) et de France Lambert (« Sabine Sicaud : l'enfant-poète », Points et contrepoints, mars 1955). Cette publication ne doit pas être pour déplaire à MM. Louis Vaunois et Jacques Bour, ni à Marcel Béalu qui, en leurs anthologies, accordèrent une place à Sabine Sicaud (respectivement dans Les Poètes de la vie et Anthologie de la Poésie féminine française. Rosemonde Gérard avait également donné place à Sabine en ses Muses françaises).
Si la critique ne réclamait pas cette édition sur l'air des lampions, du moins l'accueillit-elle fort bien... lorsqu'elle consentit à l'accueillir ! Claude Mauriac écrit qu'il faut lire ces Poèmes, pleurer et se taire. Alain Bosquet dans Combat (6-11-58) [ « De souffrance et d'amour (extrait) » ] lui consacre de chaleureuses lignes, quoique assez brèves (il est vrai que ce même journal devait insérer le jeudi suivant un texte de M. Millepierres sur « le destin de Sabine ») ; il transcrit des vers qui, effectivement, sont parmi les plus beaux du recueil et son choix s'accordant parfaitement au nôtre, je cite ceux-là mêmes qu'il a copiés :
Une feuille a son mal qu'ignore l'autre feuille.
Et le mal de l'oiseau, l'autre oiseau n'en sait rien.
On ne sait pas. On ne sait pas. Qui se ressemble ?
Et se ressemblât-on, qu'importe. Il me convient
De n'entendre ce soir nulle parole vaine.
J'attends – comme le font derrière la fenêtre
Le vieil arbre sans geste et le pinson muet...
Une goutte d'eau pure, un peu de vent, qui sait ?
Qu'attendent-ils ? Nous l'attendrons ensemble.
Le soleil leur a dit qu'il reviendrait, peut-être...a
J'ai mentionné déjà l'article de M. René Lacôte ; il parut dans Les Lettres françaises du 4-12-58 sous le titre : « Sabine Sicaud : une enfant de génie dont nous ne fîmes point un phénomène ». C'est vrai, et tout à l'honneur de ceux qui ont lu et goûté dès 1926, alors qu'Anna de Noailles venait de préfacer Poèmes d'enfant, les vers de Sabine — comme R. Lacôte qui nous précise, détail qui n'est pas si indifférent qu'il paraît, que l'enfant-poète aurait son âge, à dix jours près. Ne pas faire de Sabine Sicaud un phénomène, saurions-nous encore y parvenir en 1959, même après « l'incident » Minou Drouet ? C'est ce qu'il faut espérer !
« On voit, écrit M. Lacôte, comment je lis Sabine Sicaud : comme je lirais n'importe quel poète qui ne serait pas un enfant ». Et c'est ainsi, en effet, qu'il faut lire ces poèmes remarquables qui sont, j'en suis aussi persuadé qu'Alain Bosquet, « promis à la plus certaine des postérités ».
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
« Mais vous n'avez rient dit du recueil par lui-même », me reprochera-t-on. Je le sais fort bien, mais comme le pourrais-je sans succomber à la tentation de citer et citer encore ? Il n'y a qu'à lire, et se taire, comme dit Cl. Mauriac. Sans doute la lecture de ces vers nous fait évoquer quelques noms :
Tristan Klingsor (p. 25) b ; le Philéas Lebesgue des Chansons de Margot (p. 27) c ; George Saint-Clair :
Vous qui lisez, le front penché, dans une chambre,
ne sentez-vous donc pas qu’au seuil froid de novembre
tout ce maroquin neuf et ces parchemins d’or
sont faits pour que, ce soir,on traduise, dehors,
uniquement, les strophes du platane ? (...) d
Bl. Cendrars (pp. 55,e 57 f et 59, av.-dern. v.g) ou la chute d'un sonnet samainien (p. 44, 3 dern. v.h – et Samain encore p. 120, v. 4 i). Parfois une note rappelle Louisa Paulin ou on croirait (p. 127 j)lire de la poésie arabe, et d'autres fois on dirait du Géraldy, mais un Géraldy qui ne serait pas comme celui que nous connaissons, un « témoin » du bonheur :
C’est l’oubli, je vous dis, l’oubli miraculeux.
Votre visage même à qui j’en ai voulu
De trop guetter le mien, je ne m’en souviens plus. k
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Hier n’existe plus. Qui donc parlait d’hier ? l
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Cette chose inouïe, atroce, qui vous tue,
Croyez-vous qu’elle soit
Une chose possible à quoi l’on s’habitue ? m
...Mais ce ne sont que touches éparses et il n'est pas un poème de Sabine Sicaud qui ne soit original et personnel. On songe souvent à d'autres poètes, mais cette impression ne subsiste pas.2 Je ne pense pas que Sabine ait lu du Géraldy et elle ne doit pas à Georges Saint-Clair (dont le premier recueil parut en 1955) ce qu'elle devait peut-être à Francis Jammes... Je pense qu'Yves-Gérard Le Dantec — qui connaissait si parfaitement Muselli et Charles Guérin — se serait plu à analyser le vers de Sabine avec ce même soin qu'il avait apporté à l'étude des poèmes de Nerval, de Verlaine, de Baudelaire, de Renée Vivien notamment. Qui nous donnera de telles études, à présent ?
Je crois qu'un vers vient tout naturellement aux lèvres de celui qui vient d'achever la lecture de ce recueil, un des plus beaux, un des plus émouvants que 1958 nous ait apporté 3 :
Deux gouttes d'eau glacée pour Sabine Sicaud...
Francis B. Conem
--------------------
1 A donné dans Points de Vue - Images du Monde (30-6-56) un article intitulé : « Avant Minou Drouet, Sabine Sicaud ». On y lit notamment que pendant trois ans l'auteur a questionné et a manipulé des anthologies sans rien découvrir sur Sabine.
2 À noter que le « mot rare » qui était si cher à Louis-de-Gonzague Frick, n'effraie pas Sabine et qu'elle le recherchait peut-être parfois.
3 Cet article était achevé lorsque Combat inséra, en son n° du 8-1-59, les intéressantes « Réflexions pour un bilan 1958 » d'Alain Bosquet. Bosquet n'y va pas par quatre chemins ; il lâche gaillardement : « Il nous faut crier à la révélation » et il cite les Poèmes de Sabine Sicaud parmi les dix livres de l'année. Il lui accorde la sixième place et c'est le seul recueil de vers qu'il retienne avec Hier régnant désert d'Yves Bonnefoy, classé neuvième. Sabine, et c'est sur ces lignes qu'il termine ses réflexions, « est , tout bien pesé, le seul génie qui cette année, fertile en bonnes effervescences littéraires, nous ait été restitué ».
Identification des citations (dans l'ordre de leur apparition) :
a Extrait du poème Vous parler ?
b p. 25 : Les trois chansons
c p. 27 : Le camélia rouge
d Extrait du poème L'heure du platane
e p. 55 : Chemins de l'Est
f p. 57 : Chemins de l'Ouest
g p. 59 : Chemins du Nord ; avant-dernier vers :
« Il fallait naître à Morbacka, le jour de Pâques. »
h p. 44 : Le cytise ; 3 derniers vers :
« Et moi, comme toi, vieux cyprès, je m’émerveille
Longtemps, devant cela, que nul ne semble voir,
– Sauf nous deux – le jeune cytise en fleurs, au bord du soir. »
i p. 120 : Jours de fièvre ; vers 4 :
« Elle est blanche, elle est bleue à force d'être fraîche. »
j p. 127 : Il est parti sur son cheval, dans l'herbe...
k,l Extraits du poème Printemps
m Extrait du poème Ah ! Laissez-moi crier