Sentez-vous cette odeur, cette odeur fauve et rousse
de beau cuir neuf, chauffé par l’automne qui flambe ?
Tous les cuirs du Levant sont là, venus ensemble
de souks lointains saturés d’ambre et de santal.
Des huiles et des gommes d’or les éclaboussent.
En de jaunes parfums d’essences et de gousses,
tous les cuirs précieux d’un faste oriental,
cuirs gaufrés et gravés, pointillés de métal,
peints et damasquinés, sont là. Ceux de Cordoue
s’allongent en panneaux où la lumière joue
comme dans l’escalier d’un palacio ducal ;
ceux de Russie ont des reflets de pourpre ardente ;
ceux de Venise la douceur d’épais velours,
et ceux des Flandres aux blonds rares, aux bruns sourds,
semblent chez le bourgmestre attendre une kermesse.
Quelles mains ont offert à ces livres de messe
la reliure somptueuse qui m’enchante ?
Et ce manteau pareil à la robe de Dante,
qui le tailla pour des poètes ignorés ?
Beaux livres d’autrefois, je vous aime, dorés
sur un fond de soleil ainsi que des Icones,
et ma bibliothèque est un gala d’automne
ce soir, entre les bras d’un arbre mitré d’or.
La légende se brode à même le décor.
Mes livres, des très vieux aux très jeunes, s’étagent
de branche en branche, à la façon d’oiseaux pensifs,
et par-dessus la mosaïque des massifs
prennent la gamme fauve et rousse du feuillage.
Car ils sont habillés de feuilles, en ce temps
où les platanes roux et fauves se dépouillent.
La vierge, dans l’allée, a filé sa quenouille
afin que chaque page ait un signet flottant.
Vous qui lisez, le front penché, dans une chambre,
ne sentez-vous donc pas qu’au seuil froid de novembre
tout ce maroquin neuf et ces parchemins d’or
sont faits pour que, ce soir, on traduise, dehors,
uniquement, les strophes du platane ? Automne,
guilloché de soleil, broché d’insectes jaunes,
plein de miel et de grains, et de cette odeur forte
que promène le vent du sud, de porte en porte;
Automne, qui donc pourrait croire aux feuilles mortes,
croire, ce soir, à la tristesse de la mort ?