Ce sont les bégonias clairs
couleur de fruits, couleur de chair,
couleur de coquillages pâles.
Bégonias aux lourds pétales
couleur de perles et d’opales
– couleur des fleurs aussi qui moururent hier –
Ce sont les bégonias pâles.
Bégonias si grands ouverts
sentez-vous les doigts de l’hiver
menacer votre cœur ouvert ?
Et vous dont la pourpre est si vive,
bégonias couleur de sang
couleur du soleil qui descend
vers la mer qu’une houle avive –
Bégonias éblouissants
qui parlez de gloire et de sang
au bout de tiges mutilées,
sentez-vous tout ce que l’on sent
quand le vent, le brouillard, la pluie ou la gelée
se glissent le long des allées ?
Ciseaux du jardinier… que n’ont-ils fait déjà !
Tiges molles qu’on déchargea
d’une orgueilleuse fleur fanée…
C’est bien fini pour cette année.
Vos haillons de velours se dispersent déjà.
Sur vos têtes découronnées
un nom, barbare un peu, dira que vous étiez
de cette pâleur fine ou de ce rouge altier
que les soirs d’automne exagèrent.
Bégonias d’âme étrangère,
fleurs de luxe, fleurs qu’on aima
comme on aime d’autres climats
dans l’air un peu trouble des serres –
Fleurs des jardins aux grilles d’or,
voici l’heure, l’heure où l’on dort
au fond des grands palais de verre.
C’est l’heure des graines qu’on serre,
des bulbes roses et velus
gardant, de fleurs qui ne sont plus,
le germe frêle sous la terre.
Fleurs trop doubles ; fleurs sans parfum,
sans arôme léger, aucun,
mais d’une beauté de mystère,
feuillages verts, feuillages bruns,
rameaux de corail un à un,
couchés dans les massifs défunts,
c’est l’heure des prisons de verre.
Dormez. Le vent souffle dehors
et tant de beaux rêves sont morts
d’une mort sans réveil possible !
Cœurs tendres ou cœurs impassibles,
j’aime vous savoir endormis
dans le terreau fin des semis
cependant que le long des vitres impassibles
le vent qui souffre, le vent fou
emporte des haillons là-bas, je ne sais où…