In Le Quotidien
Dernière édition de Paris
N° 876, le Dimanche, 5 juillet 1925
Dernière édition de Paris
N° 876, le Dimanche, 5 juillet 1925
On acclame une poétesse de 11 ans
lauréate des Jeux Floraux de France
Au Théâtre des Champs-Élysées, entre les numéros de music-hall, on a lu les poèmes des lauréats des Jeux Floraux de France. Le premier Grand Prix a été attribué à Mlle Sabine Sicaud. Or, Mlle Sicaud a onze ans.1
Mlle Sicaud est née à Villeneuve-sur-Lot, en Gascogne, et elle n'a jamais quitté son village. Et pourtant — à cause de cela peut-être ? — elle a un vrai talent, naïf, frais, rustique. On trouve souvent chez les enfants de cet âge cette simplicité d'émotion que la vie, si truquée, ou la littérature, leur font perdre, et que ne retrouvent, plus tard, que les vrais artistes, après beaucoup de travail...
Quoi qu'il en soit, les poèmes de Mlle Sicaud, La Chatte et son fils, Le Cytise, et celui qui lui valut le Grand Prix, Matin d'Automne, sont acclamés par le public. Et puis Mme Segond-Weber nous amène une petite fille vêtue de rouge comme le Petit Chaperon Rouge. Elle cligne des yeux aux lumières, elle n'ose pas avancer, et elle reste les mains derrière le dos, sans saluer, avec ses deux grosses nattes bien sages, emmêlées de rubans rouges, regardant devant elle avec des yeux vides...
Au foyer, au milieu d'un groupe bruyant, je retrouve une petite Sabine effarouchée, baissant un front têtu, les yeux obstinément fixés à terre. À toutes les questions, elle oppose un mutisme inattaquable ou répond d'une voix sourde :
— Je ne sais pas !
Et elle prononce « je ne sais pas » comme les gens de Gascogne.
Elle est d'ailleurs charmante, avec un joli visage fin, trop nettement dessiné pour son âge, et des yeux doux, d'un gris bleuté, où luit parfois un regard aigu.
Je réussis à l'entraîner seule, dans un escalier obscur, et d'abord, à toutes mes questions, elle me répond sagement :
— Oh ! oui, madame.
Et puis elle s'apprivoise ?
— Nous avons une maison à Villeneuve-sur-Lot, avec un jardin. Il y a de grands arbres... des fleurs... Alors j'ai commencé à écrire en prose, il y a trois ans, et puis en vers... Sur n'importe quoi, sur des petites choses, des pierres, de la poussière... Oui, je lis des vers ; j'aime surtout Verhaeren, et aussi Maurice Rollinat... Non, je n'aime pas jouer, ni voir des gens. Je travaille à la maison avec ma mère et mon frère, qui a quatorze ans. Je reste dans le jardin...
Mais la petite Sicaud n'est pas seulement un enfant prodige, précocement grave. Je l'ai vue rire de tout son coeur aux pitreries des « excentriques », et, aux félicitations, se mordre les lèvres pour ne pas rire, et baisser les yeux pour ne pas y laisser voir la malice.
Cette petite Gasconne timide se moquait de tant de messieurs solennels. Ce soir, elle s'amusera bien, avec son frère, à les imiter.
La comtesse de Noailles, chaussée de cothurnes d'or, l'embrasse, lui donne des roses, affirme avec exaltation :
— « Matin d'Automne » ? C'est un chef-d'oeuvre ! Un pur chef-d'oeuvre !
Et puis s'enfuit comme un oiseau, gazouillant harmonieusement.
Et Mlle Sabine reste là, les bras ballants...
Retournez dans votre village, petite fille. Tâchez d'écrire encore à vingt ans comme vous écrivez à onze. Ne vous laissez pas gâter par la vaine gloire, ni par la littérature... — S. T.
1 Erreur : Sabine Sicaud avait douze ans au moment de la remise de ces prix.
[ Guy Rancourt ]