In Recueil de l'Académie des Jeux Floraux - 1905
Imprimerie Douladoure-Privat, Toulouse (1905 ; p. 64-66)
Imprimerie Douladoure-Privat, Toulouse (1905 ; p. 64-66)
LES DEUX VIEUX
Sonnet présenté au Concours
Par Mme GINET-SICAUD, à La Solitude
(Villeneuve-sur-Lot)
« Marquise, vous souvenez-vous
Du menuet que nous dansâmes ?
Il était discret, noble et doux
Comme l'accord de nos deux âmes... »
I.
Étant si vieux, qu'au fond de leurs prunelles glauques
Vacillait seul, comme à travers l'eau d'un étang,
Le reflet submergé des mirages d'antan,
Ils allaient, à petits pas courts, traînant leurs socques.
Devant chaque brin d'herbe, ils soufflaient, un instant.
Lui, disait : « Vous rappelez-vous telles époques ?... »
Et, sous le tour fané de sa coiffure à coques,
Elle avait un exquis sourire tremblotant.
Lorsque bourgeonnait mars, ils respiraient ensemble
Dans les jeunes crocus les parfums du vieux temps.
« Chère, vous souvient-il de ce divin printemps ?... »
— Je les raillais, hélas ! — Maintenant, il me semble
Que je donnerais tout pour être un de ces vieux
Qui regardaient pousser les fleurs en amoureux !
II.
Est-ce donc que vieillir n'est rien lorsqu'on est deux ?
Qu'on peut croire toujours aux nouvelles ivresses,
Aux floraisons de mars, à leurs vaines promesses,
Leur avoir souri, jeune, et leur sourire, vieux ?
Est-ce que le parfum des anciennes tendresses
Peut embaumer si bien la saison des adieux
Qu'on ne voit pas la neige envahir les cheveux,
Ni le coeur se remplir de sceptiques détresses ?...
— Oh ! dans un jardinet de province, très clos,
Très démodé, fleuri d'asters et de grelots, 1
Marcher près d'une vieille dame à coques blanches,
Dont les yeux, pleins d'amour et d'honnête vertu,
Auraient, sous leur eau morte, un reflet de pervenches,
Et diraient à vos yeux rêveurs : « Te souviens-tu ? »
1 Perce-neige.