Poésies posthumes - Sabine Sicaud (1913-1928)
Le commentaire de Maurice Toesca
L’âme de l’enfant a le privilège de passer ses premières années dans une sorte de paradis de l’innocence ; mais par le biais des camaraderies scolaires, dès qu’elle prend contact avec la vie réelle, l’âme remplace cette naïveté par les ruses des adolescents et des adultes. La joie de vivre l’emporte.
Imaginons qu’une de ces âmes délicates veuille prolonger cet état privilégié de l’enfance où tout s’enveloppe d’images – celle de Sabine Sicaud dont le cœur s’était réfugié en vain dans un arbre, qui aurait dû le protéger contre les révélations brûlantes du soleil. Pour prolonger son bonheur d’enfance, donc, elle entretient ce don qui lui a été fait de commencer l’existence à la manière d’un conte poétique. Les mots que les adultes lui enseignent prennent à ses yeux un sens magique, au point que, le soir, elle les transcrit sur un cahier « à part.». Ces poésies, elle ne les garde cependant pas au secret. Lorsqu’on dit qu’elles émanent d’une fillette de dix-onze ans, on s’émerveille. Certains lecteurs y voient un reflet des comptines du Moyen Âge :
« Le Temps a laissé son manteau
De vent, de froideur et de pluie… »
dans l’une de ses chansons :
« Entends la chanson de l’eau…
Comme il pleut, comme il pleut vite ! »
Quand de tels couplets tombent sous les yeux d’un authentique poète comme Mme de Noailles, celle-ci éclate de joie : « Sabine Sicaud raconte, et son chant qui danse ne craint pas les pirouettes de l’elfe. La nature et la vie nous sont livrées par cet enfant avec une gentillesse et un talent extrêmes. »
On approuve de tout cœur. Sabine Sicaud a treize ans quand elle publie ses Poèmes d’enfant, précisément sous l’égide de la comtesse de Noailles. Après cette surprise, qui n’aurait attendu les recueils de la vingtième année ? Hélas ! Sabine meurt en 1928, à quinze ans. Une maladie l’a tuée en quelques mois. On ne découvrira le martyre de l’adolescence que par ses Poésies posthumes, en 1958. Ce sera pour quelques historiens une découverte. Parmi eux, Robert Sabatier. Pour lui, Sabine Sicaud « aurait pu apprendre à bien des poètes enfermés dans le joug des vers trop bien alignés ce qu’est la vraie poésie. » Pour moi, ce sont ces cris de la souffrance à l’approche de la mort qui me bouleversent, à un âge qui repousse jusqu’à l’idée même de la mort. Oui, Sabine Sicaud est bien, comme le dit Robert Sabatier, « l’image de l’enfant prodige, car elle mérite mieux, ce vrai poète, que d’être réduite à cela. »
In·Figaro Madame (15 avril 1987, p. 48)
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Cet article inclus un croquis de Sabine Sicaud (ci-dessus), ainsi que deux extraits de ses poèmes (cliquer sur les liens) : Le Chemin des Jardins (tiré de Poésie du XXe siècle, Robert Sabatier, Éd. Albin Michel, 1982) et « La maladie » [Première strophe du poème Ah ! Laissez-moi crier - G.R.] (tiré de Poésie féminine, Marcel Béalu, Éd. Stock, 1953). Les deux vers cités dans l'article sont extraits du poème Les trois chansons.