« Le destin de Sabine, l’enfant-poète de Villeneuve-sur-Lot »
François Millepierres
In Combat (13-11-1958)
Chemins de l'Ouest
Pour qui vous a-t-on faits, grands chemins de l'Ouest ?
chemins de liberté que l'on suppose tels
et qui mentez sans doute...
Espaces où surgit le Popocatepelt,
où le noir séquoia cerne d'étranges routes,
où la faune et la flore ont de si vastes ciels
que l'homme ne sait plus à quel étage vivre.
Chemins de liberté que nous supposons libres.
À travers les Pampas court mon cheval sans bride,
mais la ville géante a ses réseaux de feu
et les jeunes mortels faits de toutes les races
ont leurs lassos, leurs murs, leur pères et leurs dieux.
Des « Trois Puntas » à la mer des Sargasses,
Amériques du Sud, du Nord,
pays des toisons d'or, des mines d'or, de l'or
qui fait l'homme libre et l'esclave,
le Pampero peut-être ignore les entraves
et l'aigle boréal, les pièges du chasseur...
Mais, ô ma liberté, plus chère qu'une soeur,
c'est en moi que tu vis, sereine et sédentaire,
pendant que les chemins font le tour de la terre.
Nous avons demandé à notre collaborateur François Millepierres de bien vouloir nous dire quelques mots au sujet de Sabine Sicaud dont il présente les poèmes édités par la librairie Stock. (1)
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Il y a quelque chose de mystérieux, malgré toute sa netteté, dans le destin de Sabine Sicaud, l’enfant-poète à Villeneuve-sur-Lot, morte à quinze ans il y a déjà plus d’une génération et dont l’œuvre, « promise à la plus certaine des postérités », comme disait Alain Bosquet, appartient désormais à l’histoire de notre poésie.
Je n’ai pas connu Sabine, mais, peu de temps après sa mort, je suis devenu un des hôtes familiers de ce domaine de « La Solitude » où, dans sa vie trop courte, elle a tant observé, scruté le monde tout en rêvant. Ce qu’il y a de remarquable chez Sabine, c’est que, contrairement à beaucoup de jeunes filles, elle ne se contente pas de jouer avec des rêves incertains, aux contours vaporeux. Non, elle met une sorte d’obstination à préciser le sens des choses et à pénétrer les intentions des êtres; puis elle s’attache à retranscrire selon l’harmonie. Alors elle manie les mots qu’elle a sous la main avec une prestigieuse grâce, celle que d’autres se contentent d’employer au jeu de la balle ou de la corde à sauter.
Il semble que Sabine arrive au monde avec des connaissances innées. Mme Sicaud, sa mère, me disait que les dons de sa fille étaient de nature à lui faire croire à des existences antérieures, à une mémoire d’avant la naissance. Sans doute, si cette mémoire existe, nous la possédons tous. Mais il lui arrive de s’obscurcir de bonne heure, et pour la plupart il n’en resterait rien après l’adolescence. Or le génie serait peut-être une perpétuelle naissance. Quoi qu’il en soit, Sabine Sicaud portait indiscutablement les marques du génie, et d’un génie fait pour durer.
S’il convient d’inscrire le nom de Sabine Sicaud dans l’histoire de notre poésie, nous la placerions, elle benjamine, dans le cercle brillant des femmes que dominait Anna de Noailles, où l’on reconnaît les figures de Colette, de Lucie Delarue-Mardrus, de Gérard d’Houville, de Rosemonde Gérard, d’Hélène Vaccresco, sans oublier Marie Noël dont elle lisait volontiers les poèmes, toutes poétesses douées d’un sens très intime de la nature. Mais Sabine possédait plus qu’elles le don philosophique. Très intéressée d’autre part par les réalisations du monde moderne, elle dépassait déjà et surclassait mêmes ses aînées, en interceptant du centre de son « île », les ondes nouvelles du siècle.
François Millepierres.
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(1) Les Poèmes de Sabine Sicaud (Stock).